CE QUE JE PORTE


2017

MES TISSAGES


WORK IN PROGRESS

Ce que je porte est un projet à la fois intime et structurant, qui rassemble mes séries autobiographiques telles que Le Jeu de cette famille et Mes Tissages. À travers ces oeuvres, je déroule le fil de ma mémoire, interroge mes racines et mets en lumière les éléments visibles et invisibles que je porte en moi : héritages familiaux, tensions identitaires, cicatrices intérieures, mais aussi forces acquises en chemin.

Ce travail prend naissance dans des expériences vécues — celles qui ont forgé mon rapport au monde, aux autres, à mon propre corps et à mes origines. Il témoigne aussi d’un besoin de mise à distance et de recomposition : faire de l’intime un terrain d’enquête, où les récits personnels rejoignent des questions collectives. Comment hérite-ton d’un nom ? D’un silence ? D’une culture hybride ? Que fait-on des zones floues, des blessures, des contradictions ? Ce projet porte ces questionnements, y compris ceux que je ne formule pas encore, et que le temps viendra peut-être révéler.

Ce que je porte est aussi une réponse sensible au burn-out et aux phases de rupture que j’ai traversées. Par l’image, le textile et le témoignage, je cherche à réinscrire une continuité dans les fractures. Le geste artistique devient ici un espace de réparation et d’énonciation, où l’écriture de soi se tisse au fil des matériaux, des voix recueillies, des filiations explorées.

C’est une oeuvre en expansion, ouverte, mouvante — à l’image des identités qu’elle explore. Elle affirme que le point de vue expérientiel n’est jamais un repli, mais un point d’ancrage pour mieux dialoguer avec le monde.

LE JEU DE CETTE FAMILLE

Avec Le jeu de cette famille, j’explore les mécanismes intimes de la construction identitaire à travers une série de collages photographiques inspirés du célèbre jeu de cartes pour enfants. Le projet prend racine dans une phrase récurrente de mon enfance – « Tu as les sourcils de ta grand-mère paternelle » – et dans l’expérience sensible d’un héritage double, à la fois français et marocain, visible et invisible, réel et imaginé.

En tant que femme franco-marocaine et artiste plasticienne, j’ai toujours été attirée par la dimension visuelle de la filiation. Ce travail naît d’un geste simple et intuitif : superposer, à l’aide d’un logiciel de composition d’images, ma propre photo d’identité avec celles des membres de mes deux familles. Très vite, les contours se mêlent, les visages fusionnent, les traits s’entrelacent. Et là où je croyais trouver une preuve – un sourcil hérité – j’ai découvert bien plus : des regards partagés, des généalogies de traits, une continuité silencieuse qui traverse les générations.

Ce processus donne naissance à des figures composites à la fois ludiques et troublantes. À l’instar du jeu de 7 familles, il s’agit ici de « compléter » ses origines, mais aussi d’en interroger la légitimité, les lacunes, les reconstructions. Ces visages hybrides sont autant de représentations fictives de la mémoire que de tentatives d’ancrage dans une généalogie culturelle et émotionnelle. Ils incarnent la quête identitaire de toute personne aux origines multiples, tiraillée entre assignations sociales, regard de l’Autre, et désir d’appartenance.

Au-delà du portrait, ces collages deviennent des archives affectives, jouant avec les codes de la photo d’identité, du jeu de société, du document familial. Le format du jeu de cartes m’a permis de conserver un ton volontairement léger, presque enfantin, afin de désamorcer les tensions souvent projetées sur les questions de filiation et de mixité culturelle. Ce choix n’est pas anodin : c’est précisément à travers le jeu, la répétition, l’interaction, que l’on accède à une forme de vérité décalée, poétique, non doctrinaire.

Dans cette série, chaque image invite le spectateur à chercher les ressemblances, à reconnaître ou à projeter des traits, comme on le ferait dans sa propre famille. L’implication du regardeur est essentielle : elle rejoue, à petite échelle, les mécanismes sociaux de reconnaissance et d’identification, tout en soulignant leur relativité et leur part de fiction.

Le jeu de cette famille interroge enfin la manière dont nous héritons, consciemment ou non, d’un imaginaire familial et culturel. Il questionne la fabrique des origines, la mise en récit de la génétique, et les manières dont nos corps, nos visages, mais aussi nos affects, portent en eux la trace des autres — ceux que nous connaissons, ceux qui nous ont été contés, ceux que nous ne rencontrerons peut-être jamais.

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