PAUSE LONGUE


2023


2023

QUAND LA VILLE SE SOUVIENT DE MES PAS


LE TOKYO QUE JE NE POUVAIS PAS VOIR

work in progress


work in progress

Dans Pause longue, j’explore une écriture photographique singulière, fondée sur la lenteur, le flou et l’intuition.

Mon principe formel est celui de la pose longue manuelle : je réalise mes images en pose de 3, 8 ou 15 secondes, à main levée, sans trépied ni stabilisation, avec un appareil photo numérique puis plus souvent avec un téléphone portable. Ce geste volontairement fragile, presque improvisé, est pour moi un acte d’autonomisation qui me permet de me détacher des contraintes techniques classiques pour me rapprocher d’une pratique sensorielle, intuitive et incarnée.

Avec son esthétique du flou, Pause Longue traite des glissements entre perception et projection, entre vécu intime et codes culturels partagés. Elle interroge la manière dont nous construisons nos imaginaires de l’Autre : qu’attend-on de l’ailleurs ? Que lui attribue-t-on ? Et que trahit-on en croyant le représenter ? Ce projet révèle autant qu’il questionne l’exotisme latent dans le regard artistique contemporain — qu’il soit fantasmé, critique ou revendiqué.

Mais Pause longue est aussi un processus de réappropriation identitaire. Chaque série marque une étape dans mon parcours de femme qui revient sur des lieux porteurs de rupture — géographique, amoureuse, créative — pour y reconstruire une forme d’unité. La pose longue devient un rite de résilience, une manière de redéployer ma présence dans un monde fragmenté où les appartenances sont toujours en tension. Il s’agit autant pour moi d’habiter la ville que de m’y perdre pour mieux me retrouver.

Enfin, en m’immergeant dans ces territoires pluriels, j’interroge la transmission des récits culturels. Mon travail révèle un folklore contemporain, à la fois hérité, réinterprété et parfois instrumentalisé. Je propose une relecture du réel à travers le filtre d’une sensibilité fragmentée mais lucide. Je ne documente pas : je compose, je recompose, j’altère pour mieux dire.

En somme, Pause longue s’impose comme un réseau de lieux-repères émotionnels par lequel je tente d’arpenter les plis de ma mémoire, les mirages de la culture, les silences de l’identité, au croisement du visible et de l’invisible.

Autumn Time

Cette série photographique est née d’un moment de suspension : celui d’une séparation imposée par la pandémie. Trois années sans retour possible au Maroc ont figé un sentiment d’exil affectif, doublé d’un questionnement sur mon autonomie d’artiste. Comment continuer à créer quand les liens au monde, à la famille, au territoire d’origine se rompent ? Comment retrouver l’élan après un long silence intérieur ?

Pour y répondre, j’ai élaboré un rituel : imposer à chaque image une pause de trois secondes, comme pour matérialiser dans le corps même de l'image ces trois années d'absence. Cette contrainte volontaire est devenue un geste d’émancipation me permettant de rompre avec les automatismes, de me réapproprier mon outil photographique et d’apprivoiser les accidents – flous de bougé, cadrages déséquilibrés – réinventant ainsi mon langage visuel. Une quête d’accomplissement, profondément intime et artisanale.

Le choix de Tétouan, ville de mes étés, s'inscrit dans un désir de renouer avec un sentiment d'appartenance longtemps flou. Je la traversais sans vraiment l'habiter. En y revenant, dans un contexte de résidence artistique, j'ai décidé de l'explorer en profondeur : arpenter ses rues, écouter ses habitants, recueillir les récits des élèves de l'INBA et de l'IFM. À travers leurs témoignages j'ai découvert une ville complexe, poreuse, habitée de mémoire autant que d'aspirations.

Issue de mes interprétations émotionnelles et de fragments de réel recomposés, chaque oeuvre superpose trois à cinq photographies pour former des paysages mentaux, des palettes affectives où la couleur saturée devient une voix, un accent, une mémoire sensorielle. Ces images évoquent une forme de folklore intérieur, oscillant entre réel et fiction, entre observation et projection, et interrogent cette frontière instable entre culture vécue, transmise et reconstruite.

Pause longue · Autumn Time est une tentative d'accomplissement de soi par le détour, l'accident, la durée. Dans un monde qui valorise l'immédiateté et la netteté, j'ai choisi la lenteur et le flou. J'ai choisi de ralentir pour voir autrement, de douter pour créer, afin de me réapproprier ma place — dans l'image, dans la ville, dans le monde.

Nuances des pas perdus

Réalisée en janvier 2023, Nuances des pas perdus est une série photographique dans laquelle j’interroge notre rapport à l’espace urbain à travers une approche à la fois intuitive et sensorielle. En arpentant Paris, ma ville natale, je ne cherche pas à documenter, mais à traduire une expérience intérieure : celle de la dérive, du flottement, de la perte de repères dans un environnement familier.

M’éloignant du geste photographique traditionnel, j’ai choisi de ne pas contrôler mon appareil. Les déclenchements se font à l’instinct, guidés par ma respiration, mon rythme cardiaque, mes micro-vibrations. À travers cette pratique de la pose longue – chaque image étant capturée sur trois secondes – je m’inscris dans une temporalité lente, presque méditative, qui s’oppose à la vitesse de la ville contemporaine. Il en résulte un flou cinétique, une oscillation entre disparition et apparition des formes, qui traduit une tension entre visibilité et effacement.

Ce que je donne à voir n’est pas Paris tel qu’on le reconnaît, mais Paris tel qu’on le ressent. Il ne s’agit pas de représentation, mais d’impression. Les lieux se dissolvent dans une brume picturale, les silhouettes s’effacent, les lumières s’étirent comme des traces de mémoire. Ce brouillage volontaire parle d’un rapport instable à la ville — à la fois intime et anonyme, habitée et traversée.

Nuances des pas perdus explore avec acuité le paradoxe de la grande ville : l’hyperconnexion et l’isolement. La solitude y est palpable, non comme un repli, mais comme une expérience esthétique de l’individu au sein du collectif. Je tente de restituer cette sensation vertigineuse d’être à la fois immergée dans la foule et pourtant profondément seule. Je cherche à capter l’instant fragile où je me dissous dans le mouvement, où mon propre corps perd sa consistance pour devenir vibration.

Avec Nuances des pas perdus, je construis une cartographie affective et sensorielle de Paris. Une ville vue non comme décor ou sujet, mais comme interface mouvante entre le dehors et le dedans, entre l’espace public et l’espace intime.

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