NIPPON KISS
2015/2016 - 2024/work in progress
2014
KISSOKU - MUCHA DEMO
WORK IN PROGRESS
Nippon Kiss est un projet au long cours qui rassemble l’ensemble de mes explorations artistiques liées à la culture japonaise et à mon expérience personnelle au Japon. Il prend racine dans une histoire d’amour intense et douloureuse vécue avec un partenaire japonais. Être au coeur d’un couple mixte franco-japonais m’a confrontée, de façon intime et directe, aux écarts culturels, aux malentendus, à l’idéalisation mutuelle, mais aussi à la beauté fragile de la rencontre. De cette déflagration émotionnelle est née une nécessité de création. Par la broderie, la photographie et le témoignage, j’ai transformé cette expérience en une matière vivante. Dans Chant de laine, où la lenteur du geste textile contraste avec l’instantanéité numérique, j'ai ainsi matérialisé l’éloignement progressif de l’être aimé, la distance affective et l'incompréhension culturelle.
Aujourd’hui, avec Kissoku - Mucha Demo, Nippon Kiss s’ouvre aux récits d’autres couples franco-japonais. Dans ce nouvel axe de travail, j’interroge ce que signifie aimer à travers deux cultures par le biais d’interviews, de photographies, d’oeuvres collaboratives et de portraits brodés réalisés à plusieurs mains. Les visages sont reliés par des fils rouges, en écho à la légende japonaise du destin amoureux. Certaines oeuvres montrent l’union, d’autres la tension ou parfois même la fracture.
Nippon Kiss est à la fois un processus de réparation, un geste d’ouverture et un hommage. Il me permet de transcender une histoire personnelle en une réflexion plus vaste sur l’amour interculturel, les identités plurielles et la manière dont les liens se nouent, se défont, ou se métamorphosent dans le creuset du couple
CHANT DE LAINE
Chant de laine est une série de portraits brodés qui prend racine dans une relation amoureuse interculturelle et dans l’épreuve silencieuse de la rupture. Ces œuvres sont réalisées à partir de captures d’écran de conversations Skype menées il y a plus de dix ans avec un ancien compagnon japonais. Les images d’origine, de faible résolution, sont le point de départ d’une relecture textile du passé, où la broderie devient à la fois hommage et catharsis.
Transformées par un logiciel de broderie, ces captures d’écran se muent en grilles de points de croix, réduites à une vingtaine de teintes. Le résultat visuel évoque le pixel et le flou de la mémoire. Chaque portrait, qu’il mesure 20 x 30 cm ou 52 x 72 cm, nécessite plusieurs semaines de travail intensif. Ce temps lent, répétitif et méditatif, s’oppose radicalement à l’instantanéité numérique des images d’origine. Il donne forme à une tension : celle entre la volonté de retenir les traces d’un lien révolu et la nécessité d’en accepter l’effacement.
D’apparence pixelisée, les visages brodés incarnent les stigmates de la distance — affective, géographique, culturelle. Ils témoignent d’un amour fragmenté par les pressions sociales, les attentes familiales, les malentendus interculturels. Le dos de chaque œuvre, laissé visible, dévoile l’envers du décor : fils emmêlés, nœuds, chaos discret, comme les blessures invisibles derrière les apparences lissées. Il devient la métaphore d’une société — en l’occurrence japonaise — où la retenue émotionnelle masque souvent de profondes fractures intérieures.
À travers cette série, je questionne le regard de l’Autre, les injonctions collectives qui pèsent sur les trajectoires individuelles, et la place fragile de l’amour dans un monde codifié. Chant de laine explore aussi les biais de perception culturelle, la construction du sentiment d’appartenance et l’impossibilité, parfois, de concilier intimité et identité.
Ces portraits brodés sont autant de témoignages d’une perte que de tentatives de réparation. Ils restituent, point après point, une mémoire intime, tout en rendant hommage à une culture qui, bien qu’elle m’ait profondément blessée, a aussi nourri avec force ma démarche artistique.
La couleur des sentiments contrariés
“Nos chagrins peuvent être supportables si on les mets dans une histoire.”
L'histoire racontée :
"... vous m'avez remis un extrait de votre travail. Je l'ai lu cette nuit. C'est très très beau, vraiment félicitations... votre Tôkyô a beaucoup d'intersections avec le mien... C'était Amélie Nothomb pour Sonia Hamza."
Extrait du message laissé par Amélie Nothomb
le 18 décembre 2014
Cette fois, je pars pour trois mois au Japon.
Je suis amoureuse et nous voulons préparer notre vie à deux là-bas.
J’ai appris le japonais pendant trois ans. Ce n’est pas suffisant mais j’apprendrai vite sur place. J’ai aussi beaucoup lu sur leur mode de vie. Depuis 20 ans, j’ai beaucoup d’amis japonais. J’aime leur compagnie et ai l’impression de les comprendre. De leur côté ils semblent apprécier ma sensibilité et mon calme.
J’ai déjà vécu quatre ans à Paris avec un Japonais. Lorsque notre histoire s’est terminée, je suis partie au Japon pendant un mois. Un mois magique. Ce fut le début de ma nouvelle histoire d’amour. Tout a été très rapide. Je repars maintenant pour trouver du travail et obtenir un visa. Ensuite, le mariage…
La famille de mon nouvel amoureux, Sato, est composée d’artisans et d’artistes. Je vais être bien parmi eux. Jusqu’à maintenant j’ai fait des vêtements pour enfants, j’ai créé ma propre ligne. Mais depuis plusieurs mois, je veux arrêter. Je ne suis plus motivée et la photographie prend de plus de plus de place dans ma vie. Je revis avec un appareil entre les mains.
Cependant je me suis laissée convaincre de persévérer dans la mode car au Japon, ils connaissent beaucoup de monde. Leur réseau m’aidera à trouver du travail, c’est sûr. Sato est très convaincant et je ne veux pas avoir l’air d’être de mauvaise volonté. « Tu reprendras la photo plus tard, quand tu seras bien installée. »
Mon cœur doute mais ma tête veut y croire. Je veux mettre toute mon énergie pour que notre histoire fonctionne. Après tout, j’ai toujours pensé que mes vêtements marcheraient bien au Japon. J’ai déjà eu plusieurs clients japonais. J’ai du stock, je pars le vendre.
Japon - Avril et de Octobre à Décembre 2012